Eugene T. Gendlin et Carl Rogers
Une étude publiée en 2002 dans la «Review of General Psychology» a classé Rogers parmi les six plus importants psychologues cliniciens du XXe siècle, deuxième derrière Freud (Source Wikipedia). Rogers fut invité, en 1945, à ouvrir un centre de consultation à l’Université de Chicago et il y enseigna de 1945 à 1957. La théorie de Rogers, considérée comme humaniste et phénoménologique, fut notamment influencée par les thèses de John Dewey qui font de l’expérience la base de l’apprentissage. Son approche, que l’on nomme Approche Centrée sur la Personne (ACP) est largement utilisée en Europe et au Japon.
Le nom de Eugene T. Gendlin est souvent associé à celui de Carl Rogers car ils ont travaillé ensemble, dans un contexte de recherche où Gendlin a d’abord participé, à partir de 1953, en tant qu’étudiant, aux protocoles d’expérimentation de Rogers puis devint son directeur de recherche pour le projet Wisconsin de 1958 à 1963.
Gendlin relate le début de son association avec Rogers
«Je n’ai qu’un seul doctorat et il est en philosophie. Avant d’avoir terminé mon doctorat, je me suis présenté chez Carl Rogers et il fut d’avis que ce serait une bonne idée d’avoir un philosophe dans son équipe. Il m’interrogea comme il l’avait fait pour les autres candidats. Au cours de l’entrevue, il se pencha vers moi en m’observant attentivement et me dit : «Mais! Vous ne semblez pas obtus en ce qui concerne les gens…». C’était l’opinion qu’il avait des philosophes. Je lui répondis que je ne pensais pas l’être, que les gens pouvaient me parler et que j’espérais qu’il le fasse aussi.»(GOL 2032)
Gendlin et Rogers, concepts et théories inter reliés
En examinant les théories de Gendlin et de Rogers, on y remarque des similitudes. Rogers identifia la présence du sens corporel ou du moins de certaines expériences sensorielles et viscérales et leur importance dans le processus thérapeutique. Rogers observa également la dimension expérientielle du processus intérieur sans toutefois s’attarder à décrire, comprendre et faciliter ce processus. Il semble d’ailleurs que les concepts de Rogers aient été influencés par la Théorie de l’Experiencing de Gendlin. Lorsqu’en 1958 Rogers parle d’une conception de la psychothérapie en tant que processus, il s’inspire largement du travail réalisé par Gendlin et Zimring dans les années précédentes (GOL 2139), qui sera élaboré et publié en 1969 en tant qu’outil de recherche connu comme étant l’échelle d’experiencing (GOL 2102).
Quoi qu’il en soit, les deux hommes sont de la même trempe et Gendlin reconnaît, en 1988, dans un texte écrit à la mémoire de Rogers (GOL 2059), les qualités de Rogers en tant que précurseur, son honnêteté et son courage pour changer les choses. Une partie de ce texte sera reprise dans la préface écrite par Gendlin pour le livre : «Carl Rogers : The Quiet Revolutionary» (GOL 2155)
La recherche : projet Wisconsin
Le projet Wisconsin (1958-1963), une vaste étude de la relation thérapeutique avec des patients schizophrènes, dont les résultats ont été publiés en 1967 (Rogers et al 1967), a marqué l’histoire de la psychologie humaniste. Eugene T. Gendlin était directeur de cette recherche et, dans une entrevue effectuée en 1981 par Germain Lietaer à l’Université Catholique de Louvain (GOL 2102), il fait part des impressions laissées par cette expérience qui a été marquante sur le plan de l’éthique professionnelle et sur celui des rapports humains.
«Alors… il devint clair que nous sommes principalement dépendants de notre réponse du moment en tant qu’être humain. Et peut-être aussi qu’une bonne partie de notre gêne disparaît. Nous prenons l’habitude d’être présent à tout ce qui se produit… …
nous apprenons à travailler avec quelqu’un tout en étant entouré de six autres patients et de quelques infirmières qui rigolent car elles nous croient stupides de prendre au sérieux ces personnes hospitalisées… et ce bruit incessant… et tous ces tracas… toute formalité artificielle disparaît lorsque vous travaillez avec un patient qui dit : «Je ne veux pas vous parler» et «Pourquoi êtes-vous venu, allez vous-en» et ainsi de suite. Un gros changement se produit. Nous devenons simplement plus humains et, j’ai déjà dit quelque part que, sans aucun doute, nous changeons. Nous avons besoin de toutes ces recherches pour savoir si les patients ont changé, mais nous avons déjà l’absolue certitude que nous avons changé.»
Dans la préface du livre «Carl Rogers, A Quiet Revolutionary» Gendlin évoque la personnalité de Carl Rogers: un homme doux et patient qui se souciait peu des apparences, des rôles, des diplômes et des institutions et ne se laissait pas arrêter par l’ordre établi. Gendlin ajoute: «La manière dont Rogers en est venu à sa nouvelle méthode était caractéristique de sa personnalité. Il découvrait quelque chose, puis, ne voyant aucune raison pertinente de limiter cette découverte, il ne la limitait pas.» (GOL 2155)
Rogers redéfini l’empathie selon le concept d’experiencing de Gendlin
Dans une conférence sur l’empathie qu’il donne en 1974, Rogers mentionne le travail qui conduira Gendlin à publier quelques années plus tard son livre phare sur le Focusing. Rogers va même jusqu’à reformuler son concept d’empathie en y incluant les concepts d’experiencing de Gendlin.
«Pour formuler une description actualisée (du concept d’empathie) je souhaite aborder le concept d’experiencing tel que formulé par Gendlin. Brièvement, selon son point de vue, il y a en tout temps dans l’organisme humain un flot d’experiencing vers lequel un individu peut se tourner encore et encore en tant que référent afin de découvrir le sens de ce dont il fait l’expérience. …………. l’empathie en tant que capacité à être sensible au sens ressenti dont le client fait l’expérience en ce moment particulier de telle sorte qu’il puisse l’aider à se centrer sur ce sens ressenti et à le porter plus loin vers une pleine reconnaissance non inhibée de son experiencing.» C. Rogers